samedi 31 mai 2008

Les Schtroumpfs, deuxième partie.

Pour ceux qui ont aimé le travail sur Les Schtroumpfs, je vous offre la deuxième partie qui vous avait été promise.

Figures «Schtroumpfs» confirmant le genre

Les figures du Grand Schtroumpf et de la Schtroumpfette en particulier sont essentielles à la définition du genre utopique. D’abord, le Grand Schtroumpf représente sans contredits la présence redondante du Législateur, qu’on retrouve autant dans les utopies que dans les contre-utopies. On se souviendra par exemple du Bienfaiteur chez Zamiatine, ainsi que du Big Brother de Orwell. Il correspond entièrement à la figure patriarcale servant de guide social au sein de la communauté. Il s’agit de la seule identité supérieure à la hiérarchie égalitaire des autres habitants du village. Lors de la découverte de toutes les utopies par le narrateur, apparaît à un moment «le personnage du «sage vieillard», à la fois guide et initiateur, qui fait pénétrer au néophyte les mystères du monde utopique.»[1] On a déjà pu voir cette rencontre grâce à la planche illustrée plus haut, mais on s’intéressera également à la suivante, provenant du même album, illustrant le statut de «vieux sage» appartenant au Grand Schtroumpf. Cette clarification quant au statut supérieur de ce dernier est instaurée dès le premier contact du public avec celui-ci, l’album «La flûte à six schtroumpfs» étant la première apparition des Schtroumpfs.
[1] Micheline Hugues, Op.cit., page 35




On apprend donc l’âge extrêmement avancé du Grand Schtroumpf, 542 ans, soit cinq fois plus âgé que les autres Schtroumpfs, qui ont une centaine d’années. Étant sage, le Législateur «fera de bonnes lois»[1]. Le Grand Schtroumpf, en effet, saura toujours faire une bonne gérance des règles à suivre afin de garder l’harmonie de ses Schtroumpfs.
[1] Raymond Trousson, Op.cit., page 17



Autre figure qui incite à de nombreux questionnements et qui nécessite absolument qu’on s’arrête à son analyse, la Schtroumpfette est la seule femme parmi les Schtroumpfs. Créée par le sorcier Gargamel, elle sert, à l’origine, à créer la zizanie parmi les Schtroumpfs, qui évoluent dans une société exclusivement masculine. En effet, seule femme, elle n’a pas raison d’être parmi les Schtroumpfs, dont elle détourne tour à tour chacun d’eux de leurs tâches quotidiennes. Stéréotypée au maximum, elle est d’abord créée brune et mauvaise, ne ressemblant pas à l’image blonde et agréable qu’on connaît, lègue d’une intervention magique du Grand Schtroumpf. Gargamel la fabrique à base d’argile, et d’une recette comportant les composantes suivantes : coquetterie, parti pris, larmes de crocodile, cervelle de linotte, langue de vipère, rouerie, colère, mensonge, gourmandise, mauvaise foi, inconscience, orgueil, envie, sensibilité, sottise, ruse, obstination, etc. Puis, il lui donne vie en usant d’une formule magique.

Toutes ces «qualités» composant la Schtroumpfette ne peuvent pas la rendre compatible avec la communauté des Schtroumpfs. Elle ne sera d’aucune utilité sociale : elle ne travaille pas, cueille des fleurs et usera de son charme face aux Schtroumpfs.

Certaines sociétés, comme c’est le cas dans Les Schtroumpfs, restent hiérarchisées sur le mode patriarcal. Ce sera récurrent dans le genre utopique. «Dans la société, certains sont investis du rôle paternel : le souverain, le seigneur, les magistrats […], les autres du rôle des enfants, les femmes, le peuple. Aucune contradiction avec le principe de l’égalité»[1] Les personnages qui apparaîtront assez rapidement dans les aventures des Schtroumpfs tels que la Schtroumpfette, le bébé Schtroumpf ou encore les P’tits Schtroumpfs, ne sont que des personnages qui se retrouvent sous la charge de tous les autres Schtroumpfs, un peu comme les enfants de la communauté. D’ailleurs, on ne connaît aucune utopie où la reproduction est encouragée, ni même le rapprochement sexuel entre un homme et une femme. Dans les utopies contemporaines, par exemple Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley, on conditionne les membres de la société à repousser avec horreur tout ce qui a trait à la famille. On reproduit les êtres humains en laboratoire, selon un principe de contrôle génétique et de clonage. Il en va de même avec le bébé Schtroumpf; personne ne l’a conçu, ce dernier ayant été apporté aux Schtroumpfs par une cigogne en laissant obscures ses réelles origines. Il est le bébé de toute la communauté, naturellement pris en charge par la Schtroumpfette qui a, par le fait même, probablement trouvé sa façon d’être utile aux Schtroumpfs.
[1] Micheline Hugues, Op.cit., page 51

D’ailleurs, on ne connaît pas d’utopies où les femmes tiennent un rôle important, la seule exception étant celle des Amazones, femmes-guerrières détestant les hommes. Cependant, ces femmes ne possèdent aucune féminité, allant jusqu’à se faire couper leur sein droit pour pouvoir mieux tirer de l’arc. Pour assurer la perpétuation de leur civilisation, elles s'unissent une fois par an avec les hommes des peuplades voisines dont elles choisissent les plus beaux. Si, par malheur, elles mettent au monde un mâle, elles le tuent, ou le rendent aveugle ou boiteux afin d’en faire leur serviteur. Une autre version possible veut qu’elles rendent tout simplement les bébés mâles aux hommes avec lesquels elles ont enfantés, leur société étant strictement matriarcale. Source de discorde et de jalousie, n’étant utile qu’à bavarder avec les Schtroumpfs, la figure de la Schtroumpfette prouve indéniablement que l’utopie est basée sur une structure masculine. Les figures qui composent Les Schtroumpfs, en particulier le Grand Schtroumpf, législateur et patriarche de la communauté, et la Schtroumpfette, représentante du rôle des femmes au sein des sociétés utopiques, contribuent et sont essentiels à l’établissement du genre utopique.

L’humanité en question

Après avoir observé les structures composant l’univers des Schtroumpfs, il est absolument essentiel de s’arrêter sur le contexte social de création de l’utopie. Sachant que, selon Paul Ricœur, l’idéologie et l’utopie sont deux expressions de l’imaginaire social qui ne vont pas l’un sans l’autre, Les Schtroumpfs risquent de refléter plusieurs éléments propres aux années 1960. «Nous ne prenons possession, semble-t-il, du pouvoir créateur de l’imagination que dans un rapport critique avec ces deux figures de la conscience fausse. […]L’idéologie et l’utopie sont [donc] complémentaires.»[1] La société suggérée dans l’univers des Schtroumpfs agit en effet en tant qu’idéologie utopique appropriée à l’époque et à la société du créateur, Pierre Culliford. « La création d’une utopie – c'est-à-dire d’un monde tel qu’il devrait être – trahit un sentiment d’échec dans l’adaptation au monde tel qu’il est. L’utopiste se sent mal à l’aise dans la société de son temps, dont il condamne les tares. »[2] Les années 1960, époque à laquelle Peyo dessine Les Schtroumpfs en Belgique, connaîtront la seconde guerre du Viêt Nam (1957-1975), la volonté croissante de bâtir l’unité européenne, ainsi que les protestations grandissantes contre la mauvaise répartition des richesses qui conduira jusqu’aux événements mondialement connus de mai 1968. Une frustration sociale règne particulièrement en Europe, mais aussi en Amérique, où plusieurs mouvements vers la paix et la définition de l’identité auront lieux, dont la révolution cubaine et, au Québec, la Révolution Tranquille.
[1] Paul Ricœur, «Idéologie et utopie : deux expressions de l’imaginaire social», dans Du texte à l’action. Essais d’herméneutiques II, collection «L’ordre philosophique», Paris : Éditions Seuil, 1985, page 391
[2] Raymond Trousson, Op.cit., page 13.

L’Union européenne est née le 7 février 1992, mais «l’idée de bâtir l’unité européenne remonte à loin.»[1] C'est une construction d'un nouveau type, sans précédent historique, entre des États différents, mais appartenant au même continent. Une idée d’égalité pratiquement utopique, il faut le dire. Dans les années 1960 qui voient naître les aventures des Schtroumpfs, on est à une époque où les « hippies » rejettent l’aliénation par le travail. En France, la révolte de mai 1968 proteste contre le type de société économique d’après les Trente Glorieuses. On réclame une meilleure répartition des richesses et donc, de meilleurs revenus, pour toutes les classes de la société. D’ailleurs, on voudrait une égalité entre tous. On voit grand, on est attiré par le communisme.
[1] Roger-Michel Allemand ; L’utopie, Paris : Éditions Ellipses, 2005, page 198

L’utopie se montre donc totalitaire et humaniste à la fois. Totalitaire, non pas dans l’actuel sens politique du terme, mais dans celui d’une aspiration à la synthèse, à l’harmonie : elle se veut une structure selon la définition de Hjelmslev, une entité autonome de dépendances internes. Humaniste aussi, malgré son caractère oppressif et contraignant, dans la mesure où l’utopie se veut création humaine, réalisée sans appel à une transcendance. L’utopiste témoigne d’un indéniable optimisme anthropologique, qui met l’homme au centre du monde et le fait maître de son destin.[1]
[1] Raymond Trousson, Op.cit., page 19

Nous pouvons donc constater, soutenue par les idées de Raymond Trousson, la relation entre les deux phénomènes fondamentaux d’idéologie et d’utopie, face aux attentes communes tournées vers le futur. Comme l’explique également Paul Ricœur lorsqu’il fait le rapprochement entre ces deux concepts, «par l’idéologie, […] le groupe croit à sa propre identité»[1]. Peyo, en créant une utopie imagée, met littéralement en question l’idéologie générale. C’est également la théorie de Theodor Adorno, prétendant que l’utopie dépend directement de la réalité sociale, tout en étant une version négative de cette même société. Tout comme l’idéologie a pour principe de créer une image renversée de la réalité, selon Ricœur.
[1] Paul Ricœur, Op.cit., page 388

Il est évident que dans ce cas précis, l’utopie fonctionne grâce à certaines métaphores, Peyo ne souhaitant évidemment pas un monde où l’on vivrait dans des maisons faites de champignons en allant cueillir de la salsepareille tous ensembles. Par contre, l’interprétation vers une société où ne règneraient plus de différences majeures entre les classes, où le travail serait fait en commun pour le bienfait de la société, et où une seule tête dirigeante organiserait les lois, est beaucoup plus plausible. C’est en effet le portrait de ce que réalisera Fidel Castro à Cuba, mais qui à la base semblait tellement plus humain.

Conclusion


Il y aurait encore énormément de choses à dire en lien avec le questionnement initial, afin de démontrer que l’utopie présentée dans Les Schtroumpfs sert la cause idéologique qui régissait la réalité des années 1960. Nous avons su démontrer les composantes utopiques principales, soient l’égalité au sein de la société, les Schtroumpfs étant tous identiques et égaux hiérarchiquement; le principe du non-lieu du village Schtroumpf, celui-ci étant impossible à découvrir par les hommes; puis les figures dominantes qui sont fidèles à la tradition utopique littéraire, le Grand Schtroumpf agissant en tant que figue de législateur, de vieux sage ayant toujours réponse à tout et mettant de l’ordre dans sa communauté; la Schtroumpfette étant l’illustration de la non utilité féminine dans le travail et l’organisation que nécessite l’utopie, autrement que pour s’occuper des enfants. Enfin, un rapprochement idéologique de cette utopie à la société de l’époque de Peyo pût être fait, illustrant le mouvement des années 1960 vers un principe d’égalité et de paix entre les différentes communautés et classes sociales.


Nous aurions pu aller plus loin en analysant les ressources iconiques composant la bande dessinée Les Schtroumpfs. Pensez que des détails tels que le chromatisme, l’aspect du scriptural, l’organisation des cases, ou encore le style de lignes utilisées peuvent avoir des significations importantes sur ce qu’a voulu signifier Peyo au sujet des émotions ou idéaux véhiculés par ses dessins.


Constatant la popularité à laquelle ont eut droit les albums, puis l’adaptation en dessins animés, il nous apparaît clair qu’un message original et humoristique arrive à rejoindre une plus grande affluence. Il faut cependant avouer que ce sont ces qualités qui masqueront parfois l’objectif principal du créateur, soit d’exposer une idéologie par l’utopie, au profit d’un simple loisir de second plan. La petite fille aura attendu presque vingt ans avant de découvrir ce que cachaient ses dessins animés favoris…

samedi 24 mai 2008

mon bonheur il est grand

Je me suis sentie redevable à cette page blanche, je me devais de la dompter un peu… depuis le temps. Alors me revoilà, toujours aussi souriante, avec des petits soucis et des grandes joies.

J’aimerais faire passer le mot… le sourire, le rayon de soleil, le tout ce que vous voudrez. Le bonheur est si près, si près, et si fragile en même temps. Je l’ai attrapé pour de bon, je crois bien, en faisant un tour du côté de l’improbable. Le mien, il était sur internet. Il est dans mes bras, dans mon lit, bientôt dans ma maison. Mon bonheur, il est si grand que je n’en crois pas mon cœur. Il a un de ses sourires qui me picote dans le ventre et que je voudrais prendre en photo toutes les fois où je le croise au passage. Je le souhaite mien pour la vie entière, si cela peut encore être possible aujourd’hui. Je le voudrais à mes côtés pour toutes les aventures de la vie.

Un mois exactement. (Nous aurons notre chez-nous.)

Qu’est-ce que sera un échec, dans tout cela? Les doutes qui m’habitent n’ont pas lieu d’être. Le doute, très présent, du parcours scolaire différent de ce que j’avais prévu. Plus long. J’angoisse. Pourquoi, après tout? Ce n’est pas si grave, cela ne signifie pas un échec total, seulement un retard. Et j’ai le bonheur dans ma vie, alors pourquoi m’en faire? Il m’épaulera. Il sera là. Je serai aussi là pour lui.

jeudi 15 mai 2008

Les Schtroumpfs : une idéologie dessinée…

Vous l'attendiez depuis longtemps, je vous présente une version écourtée de mon travail (de 15 pages) sur Les Shtroumpfs, remis dans le cadre du cours Imaginaires de l'utopie.
J'ai inclus l'intro et la première partie de développement. Si ça vous intéresse, il me sera bien sûr possible d'éventuellement publier les autres parties. Voilà:

Les Schtroumpfs: une idéologie dessinée...

Pourrait-on imaginer avoir eu sous le nez, toute notre jeunesse, un petit bijou du genre utopique? Alors qu’on regardait innocemment l’écran de la télévision, amusés par un dessin animé où des petits personnages bleus parlaient bizarrement et se sauvaient d’un sorcier qui échouait à tous coups, qui aurait cru que ce monde était complètement construit sur l’histoire des littératures de genre utopique?

Il y a de cela maintenant cinquante ans, le bédéiste Pierre Culliford, alias Peyo, eut l’idée de donner vie aux petits bonhommes bleus qu’on connaît sous le drôle de nom de «Schtroumpfs». Une anecdote veut que ce nom soit simplement attribué à une bifurcation, lorsque le bédéiste voulu demander le sel à son ami Franquin au cours d’un repas, Peyo ayant prononcé «Passe-moi le… schtroumpf!» au lieu de prononcer sel. L’histoire veut qu’ils aient ensuite imaginé un moyen de continuer leur conversation en remplaçant une multitude de mots par schtroumpf, d’où lui serait principalement venue l’idée.

Une grande quantité de ce qui compose cet univers imaginé en 1958 permet d’affirmer que Les Schtroumpfs appartient au genre utopique. Sachant la complexité d’une définition du genre, on peut cependant en nommer certaines composantes, tout en sachant « qu’une œuvre littéraire n’est pas seulement la résultante d’une combinatoire préexistante, mais aussi une transformation de cette combinatoire »[1], on pourrait accepter aisément d’imaginer l’illustration originale de l’utopie grâce à la bande dessinée. Peyo aurait-il donc rassemblés tous les éléments des utopies qui ont marqué l’Histoire de la littérature afin de les réunir en un monde illustrant l’idéologie planant alors sur la société d’après-guerre? Marx, lui-même, dut se servir d’une métaphore pour illustrer ce qu’il entendait par idéologie. Selon sa théorie, l’imagination sert de reflet inversé de la réalité, offrant une démonstration de ce qu’est l’idéologie. En étudiant les composantes sociales des Schtroumpfs, puis les figures importantes, il nous sera possible de mieux comprendre ce que ces éléments peuvent nous indiquer à propos du contexte social qui inspira Peyo au moment où il mit en image sa société utopique.


Une structure sociale égalitaire

D’abord, la structure sociale sur laquelle est bâtie la communauté des Schtroumpfs est construite sur une idéologie utopique. On verra en effet que les Schtroumpfs ont pour principe fondamental l’égalité entre eux. Tout comme les sociétés utopiques déjà connues, cette société se veut égalitaire, sans toutefois être égalitariste. Cela signifie qu’aucune loi hiérarchique ne peut permettre à un Schtroumpf autre que le Grand Schtroumpf d’être supérieur aux autres. Chaque Schtroumpf est égal en tous points aux autres dans le village. Les maisons sont toutes d’égales grandeurs et les biens sont également distribués. Il en est de même des tâches, les Schtroumpfs allant toujours travailler tous ensemble, chacun d’eux tenant part active dans la réalisation d’un projet commun. Non seulement les personnages sont tous égaux, mais le principe d’égalité est à son paroxysme, Peyo les ayant tous créés absolument identiques. En bande dessinée, on parle de l’effet de diffraction pour signifier les phases du mouvement d’un personnage grâce à plusieurs dessins de ce même personnage.

Dans Les Schtroumpfs, les personnages sont tellement tous semblables entre eux qu’il pourrait parfois nous sembler qu’ils représentent tous le même personnage, à des phases différentes de son mouvement. L’exemple illustré provient de l’album « Les Schtroumpfs noirs »[1], dans lequel les Schtroumpfs se voient contaminés d’abord par la piqûre d’un insecte noir, puis par la morsure des Schtroumpfs contaminés, devenus enragés. Peu à peu, tous les Schtroumpfs seront noirs, indice de leur contamination, mais le remède découvert par les recherches du Grand Schtroumpf les sauvera. Ce ne sera que lors du développement de leurs histoires, dans les années 1960, que Peyo leur attribuera peu à peu des différences.


Pour ce qui en est de l’égalitarisme, ce n’est pas la même chose. Ce qui distingue le principe d’égalité de celui d’égalitarisme, c’est que dans le deuxième cas, le droit à la différence n’existe pas. Le droit aux caractéristiques propres à chacun, étant aboli dans l’optique de l’égalité absolue entre les hommes. Il est vrai qu’en observant à quel point les Schtroumpfs sont identiques entre eux, on est tentés de croire qu’il s’agit d’un cas d’égalitarisme et le seul élément qui nous en éloigne est la spécificité de caractère qui apparaîtra au fil des aventures. Les Schtroumpfs, bien que physiquement identiques, possèdent également des qualités qui les distinguent.


Avec le temps, quelques exceptions à la règle de l’égalitarisme feront en sorte que quelques Schtroumpfs auront leur identité et leur fonction propre, se démarquant des autres par certains détails. Outre le Grand Schtroumpf et la Schtroumpfette, sur lesquels nous reviendront, il y aura par exemple le Schtroumpf à lunettes, représentant des intellectuels, se différenciant grâce à une paire de lunettes; le Schtroumpf gourmand, coiffé d’un bonnet de cuisinier établissant du coup sa fonction utilitaire; le Schtroumpf peintre, portant un béret ainsi que tenant en permanence des pinceaux; le Schtroumpf bricoleur, portant une ceinture à outils… Au fur et à mesure que les aventures des Schtroumpfs se développeront, il y aura de nouveaux Schtroumpfs qui se démarqueront également, faisant découvrir au lecteur une nouvelle caractéristique essentielle à toute société. Il y en a aussi qui n’ont aucun indice physique de leur spécificité, mais qui se démarquent par leur humour, comme c’est le cas par exemple du Schtroumpf farceur, ou encore leur paresse, comme le Schtroumpf paresseux.


L’utopie en général présente une société inspirée par le communisme. Les Schtroumpfs rejoint cette idée par une vie communautaire où on comprend l’importance de chaque membre de la société par une fonction attribuée. «Un des modèles communautaires qui hantent l’imaginaire des utopistes, […] c’est celui de la communauté monacale. Comme des moines, les utopiens travaillent, mangent, se divertissent ensemble. […] Le travail dans les champs se fait le plus souvent en équipe. Comme tout ce qui est nécessaire, les vêtements ou la matière pour les confectionner sont fournis par l’État. Ces vêtements sont tous semblables, confortables, solides et de la couleur naturelle des textiles utilisés : le blanc, couleur du lin, du coton ou de la laine, mais aussi de l’innocence.»[2] Le rapprochement avec le genre utopique se fait clairement. Les Schtroumpfs vivent selon une optique où tout doit se faire en communauté, à la manière de moines. Leur travail, strictement manuel, se fait efficacement par le nombre. Comme le prouve la citation précédente de Micheline Hugues, ils vivent d’une façon à être si égaux que même leurs vêtements, leurs maisons, leurs occupations sont absolument identiques.

La conception d’égalité en tant qu’élément essentiel de toute utopie remonte aux mythes de l’Âge d’Or, d’abord et avant tout développés par la Théogonie et par Les travaux et les jours d’Hésiode. Il s’agit du premier âge des hommes, après leur création, la race d’Or. En effet, à cette époque mythique, les hommes vivaient en accord complet avec la nature, qui leur fournissait sans effort tout ce dont ils pouvaient avoir besoin. «La terre leur fournit provende en abondance; dans les montagnes, le chêne, à sa cime, porte des glands, son tronc abrite les abeilles. […] On ne les verra pas prendre la mer : la terre qu’ils labourent porte du fruit.»[3] Chaque homme était alors égal aux autres, aucune hiérarchie ne s’imposait. Jusqu’au passage de Pandore, «la race des hommes vivait sur terre à l’abri des maux, de la pénible fatigue et des maladies douloureuses qui hâtent la vieillesse.»[4] L’utopiste, d’ailleurs, a horreur du secret, qui appartient davantage à l’individualisme qu’au communautaire. «Il rêve d’une transparence où chacun serait un miroir : tous se reflètent et se renvoient mille fois leur propre image heureuse, unanime et sans faille.»[5] Cette conception du monde, harmonieux et libre, s’oppose à la conception hiérarchique qui est présenté par Platon et Aristote dans le mythe de l’Atlantide, ainsi qu’à celle des contre-utopies plus contemporaines, où les émotions sont interdites, un très bon exemple étant 1984 de Georges Orwell.

Un autre élément concernant la structure sociale important à dénoter dans Les Schtroumpfs concerne le non-lieu dans lequel ils vivent, l’emplacement de leur village étant absolument impossible à situer par l’homme. La signification du terme utopie, mis en place par l’humaniste Thomas More en 1529, peut être définit par ou-topos, qui signifierait non-lieu, un lieu qui n’existerait pas. «La caractéristique extérieure la plus évidente et la plus commune de l’utopie est sans doute son insularisme. […] Cet insularisme n’est pas seulement fiction géographique : il répond au besoin de préserver une communauté de la corruption extérieure et d’offrir un monde clos.»[1] L’insularisme est défini comme étant l’art de profiter de la spécificité d’une situation insulaire pour obtenir des avantages, dans ce cas-ci étant la protection par l’isolement des menaces extérieures. Dans ce cas-ci, la principale menace extérieure est représentée par le sorcier malhabile, Gargamel. En effet, nous verrons qu’aucun homme n’est supposé connaître le lieu où se trouve le village des Schtroumpfs, au Pays Maudit. Les fois où Johan et Pirlouit s’y rendront, ce sera guidé par un petit Schtroumpf. On pourra observer plusieurs exemples, déjà même dans les premières apparitions des personnages dans les albums Johan et Pirlouit.


Dans cet exemple tiré de l’album « La flûte à six Schtroumpfs »[1], on comprend que Johan et Pirlouit sont les premiers hommes à accéder au village des Schtroumpfs, le Grand Schtroumpf lui-même étant surprit de leur présence.


La plupart des utopies présentent des lieux dont la localisation reste floue, impossible à déterminer. Ces lieux se retrouvent par le fait même isolés des sociétés connues du lecteur. Que l’on pense en effet à Cyrano de Bergerac, dans Les états et empires de la lune et du soleil, au Nous autres de Zamiatine, ou même au Meilleur des mondes de Aldous Huxley ou à 1984 de Georges Orwell, tous ces cas nous révèlent un monde dont on ne comprend pas comment y accéder. Bergerac imagine une étrange façon pour son personnage de flotter vers la lune et ensuite vers le Nouveau Monde. Peyo imagine également de faire endormir ses personnages, Johan et Pirlouit, par l’enchanteur Homnibus afin de les faire accéder au pays maudit. La société schtroumpf, se voyant donc construite d’une façon égalitaire, autosuffisante, et étant isolée des menaces extérieures et de la corruption en étant située dans un non-lieu, entre sans contradictions dans les normes du genre utopique.


[1] Raymond Trousson, «Préliminaires», dans Voyages aux pays de nulle part. Histoire littéraire de la pensée utopique, Bruxelles : Éditions de l’Université de Bruxelles, 1999, page 23
[1] Peyo ; « Les Schtroumpfs noirs », dans Les Schtroumpfs, tome 1, Belgique : Dupuis, 1960.
[2] Micheline Hugues, L’utopie, Paris : Éditions Armand Colin, 2005, page 57
[3] Hésiode, Les travaux et les jours, Paris : Éditions Arléa, 1998, page 97
[4] Ibid., page 90
[5] Raymond Trousson, Op.cit., page 18
[1] Ibid., page 15

[1] Peyo, «La flûte à six Schtroumpfs», Johan et Pirlouit tome 9, Belgique : Éditions Dupuis, 1960, page 40.


jeudi 8 mai 2008

Utopie en cours...

Définition de l'utopie en cours. Pression très intense, je voudrais tant en faire un véritable bijou. Le travail est à remettre demain, je vous montre un extrait très bientôt. «...Et on schtroumpferaaa!!!» Si vous voulez aller écouter la chanson pour patienter, cliquez sur ce lien:
http://www.youtube.com/watch?v=kewHMRQXc8Y

samedi 3 mai 2008

l'Afrique fictive d'Alain Mabanckou (extrait)

Un travail sur quatre de remis. M'en restent trois, lundi, mercredi et vendredi. Du sport, comme on l'aime, nous, les étudiants. Alors d'ici à ce que je vous serve le texte promis sur Les Schtroumpfs, je vous offre un extrait du travail que j'ai servi au prof d'hstoire de l'Afrique. En fait, il s'agit de mon introduction, histoire de vous introduire. Voilà.

Présentation
Il est de ces livres qui nécessitent que l’on prenne son temps, dont le rythme s’accélère tout à coup, comme c’est souvent le cas dans la vie, et en Afrique. Alain Mabanckou a, dans son roman Les petits-fils nègres de Vercingétorix[1], inventé un pays imaginaire africain, le Viétongo. Ce n’est en effet qu’au bout de 200 pages que les événements se précipitent et se dévoilent au lecteur. Le président Kabouya, élu démocratiquement, a perdu le pouvoir après un coup d’État du général Edou. Vercingétorix, l’opiniâtre chef rebelle du Sud et le ministre déchu après la chute du président Lebou Kabouya, se lance alors dans une entreprise de reconquête avec ses miliciens. La guerre civile se déclare donc entre deux peuples d’un même pays, les Sudistes et les Nordistes. Hortense Iloki est une Nordiste mariée à un Sudiste. Elle devra tenter de fuir avec sa fille la folie guerrière de ceux qui furent ses proches pendant plusieurs années, racontant dans ses carnets les événements de cette guerre et reconstituant son passé par bribes, devenant la narratrice de l’histoire offerte au lecteur. Comme dans toutes guerres civiles, cette haine est incompréhensible, ayant prit des proportions démesurées à la suite d’un événement politique qui ressemble beaucoup à celui qui déclencha une guerre civile au Congo dans les années ’90.

L’auteur, Alain Mabanckou, est d’origine congolaise, venant du Congo-Brazzaville, où il a passé son enfance et commencé ses études. Dans La Presse, l’écrivain Dany Laferrière a écrit au sujet de Mabanckou qu’«un écrivain sait toujours quand il porte en lui quelque chose de plus grand que lui»[2]. Lors de leur rencontre, Mabanckou n’était pas un auteur connu, si l’on peut dire, mais Laferrière a tout de suite su qu’il préparait quelque chose qui n’allait pas passer inaperçu. En effet, son premier roman, Bleu-Blanc-Rouge, paru en 1998, reçut le Grand prix littéraire d’Afrique noire. Puis, son roman Verre Cassé, paru en 2005, fut si bien accueilli par le public qui fut adapté au théâtre et traduit dans une demi-douzaine de langues. Ce livre a reçu la même année le Prix des Cinq continents de la Francophonie, le Prix Ouest-France /Etonnants Voyageurs et le Prix RFO du livre. Sélectionné par le jury du Prix Fémina, Verre Cassé a été finaliste au Prix Renaudot 2005. Mémoires de porc-épic, publié en 2006, a quant à lui mérité le Prix Renaudot 2006, le Prix Aliénor d’Aquitaine 2006 et le Prix de la rentrée littéraire française 2006. De plus, Alain Mabanckou est récipiendaire de la bourse la plus prestigieuse des Humanités de Princeton University (USA) au titre de "Fellow in the Humanities Council and the French and Italian department". Si selon cet auteur, «chaque roman est un idéal»[3], le roman sur lequel je me suis arrêté démontre tout le contraire, dénonçant les nombreux génocides dont fut victime l’Afrique en inventant l’un d’eux.

Pour mon travail, donc, j’ai choisi un extrait important du roman, s’étendant des pages 215 à 219 de mon édition, présentant un discours d’un chef politique Sudiste commandant à ses camarades de tuer les Nordistes, de les scalper et de lui ramener les scalps. Avant et après le discours de Vercingétorix, se trouvent les propos que la narratrice raconte à son journal tout au long du roman, et qui sont nécessaires pour comprendre l’état d’esprit du récit et du message indirectement lancé par Mabanckou. Cet extrait est choquant, mais il nous permettra de découvrir que le Viétongo imaginaire du roman de Mabanckou est calqué sur le Congo-Brazzaville au moment de la guerre civile qui débuta en 1992, en mettant en évidence les éléments qui se superposent. De manière plus large encore, l’auteur expose la ruine que toutes les sociétés africaines ont déjà vécue.
[1] Alain Mabanckou, Les Petits-fils nègres de Vercingétorix, Éd. Le Serpent à plumes, 2002, 263 pages.
[2] Dany Laferrière, «Derrière les livres», dans La Presse, Montréal, dimanche 11 novembre 2007.
[3] http://www.evene.fr/celebre/biographie/alain-mabanckou-17244.php visité le 28 avril 2008